Les Menaces

Evolution de la population

Au cours du 20ème siècle, le nombre de couples nicheurs en France a diminué de près de 60%, en passant d'une estimation de 80 couples en 1960 (les recensements exhaustifs n'existaient pas à cette époque et il est difficile de savoir si tous les sites ont pu être occupés en même temps) à un minimum historique de 22 couples (contrôlés) en 2002.
Depuis cette date, la population semble se redresser lentement. Toutefois, avec seulement 32 couples nicheurs en 2014, l'avenir de cette espèce reste encore très incertain.

Fécondité des couples et taux de survie des oiseaux

Si la population tend à se stabiliser et même à légèrement augmenter ces dernières années, il n'en reste pas moins que la fécondité des couples (soit le rapport du nombre de jeunes envolés sur le nombre de couple) est naturellement faible (0,93 aiglons par couple et par an soit une productivité stable sur 25 ans et très comparable à celles d'autres populations du Nord de l'Espagne en assez bon état de conservation, à savoir la Catalogne ou l'Aragon) et qu’elle peut être fortement influencée par les activités humaines présentes sur les sites de reproduction. L’Aigle de Bonelli est une espèce longévive, capable de dépasser exceptionnellement l'age de 30 ans dans la nature, dont l’espérance de vie moyenne à l’envol est d’à peine 4 ans et de 7,5 ans pour un oiseau ayant atteint sa troisième année. Toutefois, l’âge moyen des individus reproducteurs est de 11 ans. La dynamique de l’espèce est donc essentiellement dépendante de la survie des oiseaux adultes et de leur capacité à se maintenir d’année en année sur les sites de reproduction pour mener à terme leur nichée annuelle. L'amélioration de la survie des immatures est, en complément, un objectif à viser, sachant que ces derniers constituent le vivier des futurs recrutements dans la population.

Facteurs de déclin

Si la situation de l'Aigle de Bonelli demeure aujourd'hui incertaine, c'est parce que l'espèce est encore très durement affectée par un certain nombre de menaces d’origine anthropique (c’est-à-dire liées aux activités humaines) malgré des progrès sensibles. Ces menaces peuvent être soit directes et entraîner la mort immédiate d’oiseaux, soit indirectes, l’impact se faisant alors ressentir sur le succès de la reproduction, les ressources alimentaires disponibles, ou plus généralement sur les territoires des aigles…

Les principaux facteurs affectant la population française sont les suivants :

L’électrocution sur les lignes moyenne tension

Les rapaces en milieu ouvert guettent généralement leurs proies depuis un poste d'observation en hauteur et les poteaux des lignes électriques constituent des perchoirs privilégiés.

De par leur envergure, lorsqu'ils se posent sur les armatures métalliques des poteaux Moyenne Tension, il peut arriver que les oiseaux entrent en contact simultané avec deux fils (ou phases) ou une phase et un élément faisant masse avec la terre (comme le poteau par exemple) et ainsi s'électrocutent.
 Entre 1990 et 2013, 31 Aigles de Bonelli ont ainsi été trouvés morts électrocutés en France, soit 47% des reprises issues du programme national de baguage. C’est donc la cause de mortalité connue la plus importante dans notre pays. Il faut bien considérer que ce chiffre est un minimum étant donné la difficulté de retrouver les cadavres dans la nature.

Depuis 2011, une Charte avifaune a été signée entre ERDF et plusieurs partenaires du Plan en Languedoc-Roussillon (DREAL-LR, ONCFS, COGard, LPO R-A et CEN L-R) pour une période de 3 ans. Cette Charte a été l'occasion d'avancer de manière efficace sur les actions de neutralisation des lignes identifiées comme dangereuses dans les DV de l'espèce. Ainsi, 597 poteaux ont été neutralisés de manière préventive sur 9 territoires au cours de cette période et 26 poteaux de manière curative (ayant entrainé des mortalités d'espèces protégées). Une nouvelle Charte est en préparation pour la période 2014 - 2016. Une action de ce type élargie à la biodiversité est également menée en PACA avec la LPO. Enfin, un comité plus large qui inclut également RTE  été constitué en Rhône-Alpes.

La collision sur les câbles est une autre menace liée aux réseaux électriques aériens et représente 9% des reprises. Au total, en additionnant électrocution et percussion, les lignes électriques représentent donc 55 % des cas de mortalités connus de l'espèce. Tout récemment une convention concernant 3 des 4 départements abritant l'aigle de Bonelli en LR a aussi été signée avec RTE pour la période sept. 2014 - sept. 2017.

La persécution

En France, il s'agit de nos jours du tir, principalement, mais dans d’autres pays, le piégeage et l'empoisonnement impactent aussi l’espèce (1 seul cas d'empoisonnement de 2 ind. est certain en France et plusieurs cas de piégeages accidentels sont connus mais les oiseaux ont fort heureusement été relâchés sans dommage). Le tir à lui seul représente 7% des reprises depuis 1990. Cependant, ces cas de tirs semblent augmenter continuellement depuis 2008 avec 1 à 2 oiseaux retrouvés plombés chaque année (cf. communiqués de presse). Cependant, l'appui de la part de Fédérations de chasseurs de plus en plus nombreuses, pour dénoncer les actes de braconnage ainsi que leur implication concrète dans un certain nombre d'actions favorable au Bonelli aux côtés de chasseurs locaux (gestion de milieux et espèces proies) marque une évolution encourageante dans les rapports anciens à ce grand rapace.

Les dérangements

La fréquentation humaine à proximité des sites de nidification peut affecter le succès de reproduction des couples d'Aigles de Bonelli.

Les dérangements sont d'ailleurs de plus en plus fréquents, étant donné l'essor que connaissent aujourd'hui les activités de pleine nature telles que l'escalade, le quad, la moto cross, la randonnée, le canoë, le vol à voile ou le geocaching….

Le survol des sites par des avions et des hélicoptères ainsi que l'extension de l'urbanisation comptent parmi les autres causes de dérangements potentielles.
 

 L’une des actions du Plan est d’engager la concertation avec les représentants des différentes catégories d’activités de plein air pour obtenir des accords minimisant leur impact sur l’espèce, notamment en période sensible (ponte, couvée et élevage des jeunes, soit entrejanvier et mi-juillet). 

La trichomonose

Cette maladie a été mise en évidence lors des suivis et des opérations de baguage et se caractérise par la formation d'abcès dans la bouche et le jabot des aiglons. Les jeunes n’arrivent plus à s'alimenter normalement et peuvent décéder par inanition ou étouffement. Cette maladie a causé en France, la mort d'au moins sept aiglons entre 1990 et 1998. Celle-ci est due à la présence d'un protozoaire flagellé Trichomonas gallinae, qui se transmet d'oiseau à oiseau lors du nourrissage, soit directement par le bec si les adultes sont porteurs sains, soit par des proies infectées. Aujourd'hui, une inspection systématique du bec des juvéniles est faite au moment du baguage et, le cas échéant, les cas de trichomonose sont traités immédiatement puis les oiseaux contaminés suivis pour déterminer leur devenir. Cette maladie semble donc à présent bien maitrisée et faiblement impactante.

Les énergies renouvelelables (éolien et photovoltaïque)

Les domaines vitaux des couples d'Aigle de Bonelli sont, en France, régulièrement situés à proximité relative de villes moyennes à grandes et s'inscrivent souvent dans des paysages attractifs pour le tourisme et les activités de pleine nature. L'urbanisation et la construction d'infrastructures touristiques et de transport grignotent ainsi continuellement ces domaines vitaux.

A ces causes anciennes de dégradation des habitats sont venues s'ajouter de nouvelles problématiques depuis 15 ans avec notamment le développement des énergies renouvelables que sont l’éolien et le photovoltaïque industriels.

Des suivis d'impacts internationaux puis nationaux ont prouvé très tôt que les rapaces étaient en général très sensibles à la présence d’éoliennes sur leur territoire, soit à travers un risque de mortalité directe sur les pales des aérogénérateurs, soit à travers la perte induite de zones de chasse. En l'état des connaissances, le second type d'impact semble le plus conséquent pour l'aigle de Bonelli : une perte systématique d'habitat dans un rayon minimal de 200 à  250 m est établie tant au Portugal qu'en France. En France les pertes d'habitats actuelles (concentrées pour l'essentiel en Languedoc-Roussillon) peuvent ainsi être chiffrées à un minimum de 1 100 ha pour environ 300 ha de mesures compensatoires prévues et réalisées. La méconnaissance et/ou la non prise en compte des impacts et de l'enjeu majeur de cet espèce transparaît ainsi clairement. Au contraire, de nombreux nouveaux projets surgissent ces dernières années, majoritairement dans des domaines vitaux occupés, en prenant fréquemment pour prétexte l'existence de parcs antérieurs, au mépris des impacts cumulés (deux exemples emblématiques et en contentieux actuellement concernent : un parc dans l'Aude accordé sur une zone antérieurement retirée lors des études du premier parc installé, du fait de sa fonction dans l'émancipation des immatures et un projet de parc dans les Pyrénées-Orientales accordé à quelques kilomètres du site de reproduction de l'unique couple départemental, à partir d'une seule éolienne pré-existante).

On ne recense par contre jusqu'alors qu'un seul cas de mortalité par pale (en Espagne) mais certains auteurs ont constaté des vols en situation à risque et il en faut pas perdre de vue que dans ce bastion de la population européenne, fort de 750 couples environ (également fort pôle de développement éolien en Europe), l'espèce est très systématiquement prise en compte en amont des projets comme un enjeu majeur. La confrontation réelle Aigle de Bonelli/éolien est donc bien moindre que ce que l'on pourrait imaginer a priori dans ce pays, et de fait les retours d'expérience concrets y sont encore peu nombreux. Certaines régions autonomes comme l'Aragon et la Catalogne ont ainsi clairement établi le principe du refus de parcs éoliens dans les domaines vitaux d'aigle de Bonelli.

Concernant le photovoltaïque au sol, là aussi l'impact le plus évident concerne la perte d'habitat, non tolérable dans les zones de vie d'une espèce aussi menacée, alors même qu'il existe des alternatives évidentes en zone urbanisées et artificialisées (dont le taux de croissance est un des plus forts au niveau national en LR et PACA notamment). Ces principe figurent d'ailleurs sur tous les guides ministériels et schémas régionaux établis sur le sujet, sans pour autant contraindre les très nombreux projets industriels en développement à s'y soumettre. Un des exemples les plus emblématiques de ce point de vue est l'annulation par deux jugements au Tribunal Administratif d'un parc accordé en domaine vital de Bonelli en PACA, suivi immédiatement du dépôt d'un nouveau projet reconfiguré sur les mêmes zones (dans le cadre d'un appel à projet ministériel...).

Le nouveau Plan ré-affirme pour sa part le principe de l'arrêt du développement de ces types de projets dans les DV et zones d'erratisme de l'espèce. Le Ministère en charge de l'écologie a également insisté dans sa lettre de mission au préfet coordonnateur du plan national (Préfet de région LR) en septembre 2013, sur la nécessité de prendre en compte les recommandations du PNA sur ces aménagements, préconisant leur absolu évitement dans les zones de référence du PNA (DV et zones d'erratisme).

 

L'évolution des paysages

L'Aigle de Bonelli fréquente les milieux ouverts d'une mosaïque agricole méditerranéenne composée de garrigue, de parcours pâturés, de vignes et de cultures (blé dur, luzerne...).

Les modifications des pratiques agricoles (déprise, intensification, déclin de l'élevage ovin) contribuent à modifier les paysages et à réduire les habitats favorables aux espèces-proies que sont principalement la Perdrix rouge et le Lapin de garenne. Ce sont des dynamiques déjà anciennes et contre lesquelles il est extrêmement difficile d'agir, les fondements en étant d'abord socio-économiques. Les actions contractuelles, menées notamment dans les sites Natura 2000, restent le principal moyen d'envergure disponible pour ce faire.

La compétition interspécifique

Des études menées dans le Sud et l'Est de l'Espagne ont mis en évidence une compétition pour les sites de nidification et les domaines vitaux entre l'Aigle de Bonelli et l'Aigle royal (plus accessoirement le Faucon pèlerin et le Vautour fauve). En France, plusieurs cas d'occupation d'anciens sites de reproduction d'Aigles de Bonelli par des couples d'Aigles royaux ont été recensés et des couples d’Aigles royaux ont même récemment évincé des couples d’Aigles de Bonelli en place. L'aigle royal est en effet heureusement aujourd'hui dans une dynamique positive à l'échelle nationale, après des décennies de persécution. Ce faisant, il s'étend depuis plus de 30 ans lentement en direction des marges basses des massifs montagneux des Alpes, Pyrénées et Sud du Massif-Central. Au total on peut estimer aujourd'hui à 15-20 le nombre de DV vacants d'Aigles de Bonelli intégrés en majeure partie dans des DV actifs d'Aigles royaux, ce qui réduit donc d'autant les possibilités de récupération d'anciens territoires par l'aigle de Bonelli en France, affecté de surcroît d'un handicap de taille et de dynamique vis à vis de son grand cousin. Récupérer une population de 50 à 60 couples de Bonelli en France s'avère donc un objectif déjà ardu mais néanmoins plus réaliste que celui des potentiels 80 couples des années 60.